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Participer à l’accessibilité culturelle

« La meilleure inclusion, c’est d’être visible parmi les autres. Aussi au théâtre »

En Suisse romande, deux projets pionniers rendent les arts vivants accessibles. L’association Ecoute Voir propose des audiodescriptions de spectacles pour les personnes aveugles et malvoyantes. Quant au projet Sourds & Culture, il réalise des interprétations en langue des signes française pour les personnes sourdes et malentendantes. Au cœur de ces deux projets, il y a des personnes touchées. Elles partagent ici leur expertise et leurs expériences.
Visite tactile du plateau du spectacle « Le Bal des voleurs » donnée par Ecoute Voir. © Laurent de Senarclens
Visite tactile du plateau du spectacle « Le Bal des voleurs » de L'outil de la ressemblance donnée par Ecoute Voir.
© Laurent de Senarclens

L’association Ecoute Voir propose des audiodescriptions de spectacles de théâtre, de danse et d’opéra. L’audiodescription consiste à décrire par oral les éléments visuels importants d’un spectacle pour les spectateurs aveugles et malvoyants. Ces spectateurs en ont besoin pour comprendre le spectacle. Il s’agit d’indications portant sur les mouvements, les décors, les costumes, les expressions du visage, les objets et les lumières.

Deux comédiens professionnels formés donnent ces audiodescriptions. Ils accompagnent le processus artistique. Ils écrivent, font tester et adaptent leur scénario. Ce scénario répond aux besoins des spectateurs aveugles et malvoyants. Il valorise aussi le texte et le jeu théâtral. Avant la représentation, les deux audiodescripteurs prennent place dans un espace en coulisses relié au plateau par une caméra. Les spectateurs aveugles et malvoyants s’équipent de casques pour écouter la pièce et l’audiodescription. Calés sur le jeu des acteurs, les comédiens audiodécrivent le spectacle.

Les représentations sont précédées d’une visite tactile du plateau de jeu. Cette visite réunit les spectateurs aveugles et malvoyants et leurs accompagnants, un audiodescripteur et parfois des comédiens.

​Françoise Déglon, membre malvoyante du comité d’Ecoute Voir

Comment avez-vous découvert l’offre de théâtre audiodécrit ?
J’ai un abonnement aux deux théâtres Equilibre et Nuithonie de Fribourg depuis des décennies. Ecoute Voir a audiodécrit une pièce et ce fut une super découverte. J’aime aller au théâtre depuis toujours. Pour moi, aller d’Evolène, où j’habite, à Fribourg pour un spectacle, ce sont mes vacances ! Lorsque la représentation est audiodécrite, l’expérience est plus complète et la soirée plus confortable.

Cette offre intéresse-t-elle vos connaissances malvoyantes ou aveugles ?
Je suis membre de la section fribourgeoise de la Fédération suisse des aveugles et malvoyants (FSA). J’incite les membres à venir, un groupe de fidèles s’est formé, et à chaque nouvelle représentation, une nouvelle personne se joint à nous.

« La meilleure inclusion, c’est d’être visible parmi les autres. Aussi au théâtre. »
Françoise Déglon, membre malvoyante du comité d’Ecoute Voir

L’audiodescription de spectacles théâtraux trouve donc son public ?
La fréquentation évolue dans le bon sens et je constate que des personnes âgées viennent aussi volontiers. Lorsque l’expérience est confortable, les personnes reviennent. La meilleure inclusion, c’est d’être visible parmi les autres. Aussi au théâtre. Il est donc important que les théâtres mettent en place un accueil adéquat. Ecoute Voir les y aide. Cela reste malgré tout un défi que d’atteindre les personnes aveugles ou malvoyantes. Toutes ne font pas partie des sections de la Fédération suisse des aveugles et malvoyants, il faut trouver d’autres moyens de les informer.

​Stéphane Richard, comédien-audiodescripteur pour Ecoute Voir​

Stéphane Richard est l’un des quatre comédiens à s’être lancé dans l’aventure de l’audiodescription lors d’une formation organisée à La Manufacture, Haute école des arts de la scène de Lausanne. Si lui-même n'est pas en situation de handicap, il sensibilise les équipes des théâtres et les compagnies à la thématique de l'accessibilité, comme audiodescripteur et comme guide des visites tactiles du plateau de jeu. Lors de ces visites, des techniciens, des costumières ou des comédiens partagent en effet parfois une expérience liée au handicap, ou cherchent le contact avec les visiteurs.

Pourquoi avoir accepté de devenir audiodescripteur ?
A l’époque j’étais déjà interpellé par l’accessibilité culturelle. J’étais en effet lecteur à la Bibliothèque sonore romande, qui met gratuitement à disposition des personnes aveugles et malvoyantes des livres enregistrés par des lecteurs bénévoles. Cette proposition rejoignait donc mon intérêt.

Comment préparez-vous votre prestation ?
En deux phases : d’abord l’écriture du scénario, faite à partir d’une captation vidéo du spectacle. Nous devons tenir compte de l’intention du metteur en scène pour choisir nos mots, leur « bonne résonnance ». C’est un travail qui prend du temps : en moyenne 1 heure pour 1 minute de spectacle ! Puis nous voyons une représentation afin de confronter le texte à la réalité. Notre travail doit en effet répondre aux besoins des personnes malvoyantes tout en mettant en valeur le texte et le jeu des comédiens. Cette première mise en commun peut nous amener à couper de longs passages. Enfin, une pré-générale testée par des aveugles et malvoyants est un moment essentiel qui permet d’affiner la prestation.

Les comédiens-audiodescripteurs Stéphane Richard et Laurence Amy d’Ecoute Voir audiodécrivent le spectacle « La Maladie de la Famille M » des Impromptus.
© Guillaume Mégevand

Vous travaillez seul ?
Non, nous sommes toujours deux audiodescripteurs. Pour l’écoute et la relecture pendant la préparation, et pour alterner pendant la représentation.

« Les personnes voyantes qui participent aux visites des décors sont aussi enthousiastes. »
Stéphane Richard, comédien-audiodescripteur pour Ecoute Voir

Est-ce important que les audiodescripteurs soient des comédiens ?
A mon sens, oui, car nous connaissons le métier, et nous savons comment ne pas déranger la troupe. Notre expérience facilite aussi le contact avec les comédiens. C’est important qu’ils comprennent ce que nous faisons. Ceux qui le désirent participent à la visite tactile du plateau que nous organisons avant la représentation. Et ils constatent que les personnes voyantes qui participent aux visites sont aussi enthousiastes que les personnes aveugles et malvoyantes.

Corinne Doret-Baertschi, secrétaire générale d’Ecoute Voir​ ​

Allez-vous impliquer encore mieux des personnes aveugles et malvoyantes dans votre projet ?
Dans le cadre du label « Culture inclusive », nous allons approfondir les collaborations. Notre comité compte déjà une personne malvoyante. Une personne aveugle le rejoindra en 2019. Nous allons continuer à collaborer avec des personnes en situation de handicap visuel pour la programmation et pour promouvoir l’offre dans les réseaux de Suisse romande susceptibles d’être intéressés.   

Comment sensibilisez-vous les théâtres à l’accueil de personnes en situation de handicap ?
Nous leur expliquons comment mettre en place un accueil qui répond aux besoins des personnes en situation de handicap visuel et insistons sur l’importance d’informer leur personnel. Nous veillons au bon placement des personnes aveugles et malvoyantes dans les trois premiers rangs. Sur demande, nous conseillons aussi les théâtres pour d’autres mesures. Par exemple en leur donnant des contacts dans le milieu du handicap. Pour les mesures liées au handicap auditif, nous nous concertons avec le projet Sourds & Culture.

​Le projet Sourds & Culture : interprétation en langue des signes française de spectacles de théâtre et de concerts​

L’interprétation en langue des signes consiste à transposer un texte dans la langue des signes. Une partie des sourds et malentendants utilisent la langue des signes. Il s’agit d’une langue à part entière, liée à une culture. En Suisse romande, l’on utilise la langue des signes française (LSF).

Deux interprètes professionnelles accompagnent le processus artistique. Elles composent, font tester et adaptent leur interprétation. Il s’agit de faire entendre la poésie du texte, et de se répartir les rôles des acteurs de manière compréhensible. Cette interprétation doit être fluide pour les spectateurs sourds et malentendants. Elle doit aussi valoriser le texte et le jeu théâtral. Lors de la représentation, les deux interprètes prennent place sur le bord de la scène. Les spectateurs sourds et malentendants suivent à la fois le jeu des acteurs et son interprétation.

​Le spectacle « Monsieur Kipu » interprété en langues des signes français par le projet Sourds & Culture. ​© Sylvain Chabloz​

Le spectacle « Monsieur Kipu » de la Cie l'éfrangeté interprété en langues des signes français par le projet Sourds & Culture.
© Sylvain Chabloz

Olivier Trolliet, médiateur sourd du projet Sourds & Culture

Quel rôle jouez-vous dans l'association ?
Je travaille avec les interprètes en langue des signes pour la préparation des spectacles. La collaboration avec des personnes sourdes est essentielle pour adapter les textes des pièces ou les chansons. Nous assistons aux répétitions, car les emplacements des interprètes et l’éclairage sont aussi déterminants.     

Que vous apporte la traduction de pièces de théâtre en langue des signes ?
Je profite avec plaisir des pièces lorsqu’elles sont traduites en langue des signes. Je découvre ainsi une partie de la culture encore très largement réservée aux personnes entendantes.

« Il est important de pouvoir regarder l’interprète et la scène en même temps. »
Olivier Trolliet, médiateur sourd du projet Sourds & Culture

Comment accueillir au théâtre les interprètes et le public qui utilisent la langue des signes ?
Certains acceptent volontiers la traduction en langue des signes, mais l’interprète est parfois un peu trop à l’extérieur du cadre de scène, éloigné de l’emplacement des comédiens, pour ne pas « gêner ». Dans d’autres situations, le metteur en scène et la compagnie intègrent volontiers l’interprète, ce qui facilite la visibilité du spectacle. En tant que sourd, il est important de pouvoir regarder l’interprète et ce qui se passe sur la scène en même temps. Il est aussi important d’avoir une place adéquate. Quand nous avons le choix de notre place pour une bonne visibilité, c’est très appréciable.  

Que conseillez-vous pour améliorer l'information au public concerné ?
Dès le lancement du projet, j’ai reçu les informations par Sourds & Culture. Les technologies de communication actuelles permettent de sensibiliser différents publics, il faut donc en profiter au maximum. Il faut aussi clairement indiquer sur les grandes affiches publicitaires et sur les sites Internet des théâtres que le spectacle est traduit en langue des signes, par exemple en mettant le logo des mains qui signent.   

Comment intéresser au mieux les amateurs de théâtre qui parlent la langue des signes ?
C’est difficile de vous répondre, car chacun a le choix d’assister ou non à un spectacle. Comme les personnes entendantes, les sourds veulent avoir le choix. Mais peu d’entre eux savent qu’il existe des spectacles accessibles. La communauté sourde est restreinte, il faut donc continuer à l’inviter pour lui donner envie de découvrir des activités culturelles auxquelles elle n’a jamais eu accès. 

© Marie-Christine Pasche

Le concert de Sorel interprété en langue des signes française par le projet  Sourds & Culture au Montreux Jazz Festival 2015.
© Marie-Christine Pasche

Sofia Adelino, médiatrice sourde du projet Sourds & Culture​

Quel rôle jouez-vous dans le projet ?
Je collabore à la préparation de l’interprétation des pièces de théâtre ainsi que de concerts. Je travaille à la traduction du français en langue des signes et à l’adaptation visuelle. Traduire un spectacle n'est pas du mot à mot. J’aide l’interprète à trouver les gestes qui exprimeront plus que le texte – l’ambiance, la poésie, l’intention de l’auteur. Je trouve aussi des solutions pour améliorer l’accessibilité à l’offre pour les personnes sourdes et malentendantes.

Que vous apporte la traduction de pièces de théâtre en langue des signes ?
J’acquiers une meilleure connaissance du milieu culturel. Le travail en commun avec les interprètes sur l’adaptation des textes me permet d’affiner ma connaissance linguistique de la langue des signes.

« Ce serait sympa d’organiser, avant ou après le spectacle, un Café des Signes. »
Sofia Adelino, médiatrice sourde du projet Sourds & Culture

Comment favoriser la rencontre entre spectateurs sourd, malentendants et entendants ?
Ce serait sympa d’organiser, avant ou après le spectacle, un atelier sur la langue des signes ou un Café des Signes. Lors d’un Café des Signes, des animateurs sourds jouent le rôle de serveurs, répondent aux questions et aident les clients entendants à passer commande. Cette expérience sympa permet l’échange entre les spectateurs et sensibilise à la langue des signes.

Quel est selon vous le meilleur moyen d’intéresser des personnes sourdes et malentendantes ?
Le meilleur moyen d'informer les personnes sourdes est de diffuser des informations vidéo ou des messages en langue des signes sur les réseaux sociaux ou par un lien vers une chaîne YouTube.

Comment impliquer plus de personnes sourdes ou malentendantes dans le projet ?
L’idéal serait d’intégrer une personne de plus dans l’équipe, avec un bon réseau auprès des personnes sourdes. Elle serait chargée d’améliorer la présence du projet sur les réseaux sociaux, ou de diffuser une newsletter, par exemple.

Anne-Claude Prélaz-Girod, fondatrice et interprète du projet Sourds & Culture

Allez-vous impliquer encore mieux des personnes sourdes et malentendantes dans votre projet ?
Dans le cadre du label « Culture inclusive », nous souhaitons poursuivre et développer la collaboration avec des personnes sourdes: les impliquer dans les choix de programmation, la communication et la préparation. 

Comment sensibilisez-vous les théâtres à l’accueil des personnes en situation de handicap auditif ?
Les besoins en terme d’accessibilité des personnes sourdes et malentendantes ne sont pas les mêmes. Certains profiteront de l’interprétation en langue des signes, d’autres du surtitrage ou d’une boucle magnétique. Nous informons nos partenaires culturels de ces différences et les rendons attentifs aux conditions à mettre en place pour un bon accueil. Après chaque spectacle, nous fournissons aux théâtres une synthèse de l’évaluation du public qui leur permet, tout comme nous, d’améliorer certains aspects de l’accessibilité lors d’une prochaine représentation.

L’association Ecoute Voir

L’association Ecoute Voir est née en 2014. Elle vise à rendre accessible les arts vivants aux personnes en situation de handicap sensoriel (vue et ouïe). Chaque année, elle propose entre 15 et 20 représentations de théâtre et d'opéra en audiodescription. Elle collabore avec des théâtres de toute la Suisse romande. Elle privilégie les spectacles qui tournent dans plusieurs cantons. L’association emploie quatre comédiens professionnels. Ils ont été formés en 2013 par la comédienne Séverine Skierski de l’Association Valentin Haüy, car il n’existe pas de formation en Suisse. Le comité d’Ecoute Voir est constitué d’acteurs du monde du théâtre et du monde du handicap. Son comité compte actuellement une personne malvoyante. Le comité participe à la gestion de l’association. Ses membres sensibilisent leurs réseaux à l’activité d’Ecoute Voir. Ecoute Voir porte le label « Culture inclusive » de Pro Infirmis depuis décembre 2018.

Le projet Sourds & Culture

Le projet Sourds & Culture est né en 2013. Il est porté par l’association InterprètesLSFindépendantes. Il vise à rendre accessible les arts vivants aux personnes sourdes et malentendantes qui utilisent la langue des signes française. Ses interprètes traduisent des spectacles en langue des signes. Chaque année, il propose entre 20 et 30 interprétations de spectacles théâtraux, de contes et de concerts. Il collabore avec des théâtres de toute la Suisse romande. Il privilégie les spectacles qui tournent dans plusieurs cantons. Il inclut aussi des spectacles pour enfants, afin de donner aux jeunes sourds l’envie et l’habitude d’aller au théâtre. Le projet est porté par interprètes professionnelles. Des personnes sourdes et malentendantes participent au choix des spectacles, à la préparation de l’interprétation et à la création de bandes-annonce en langue des signes. Le projet sensibilise aussi le public entendant à la culture sourde. Le projet Sourds & Culture porte le label « Culture inclusive » de Pro Infirmis depuis décembre 2018.

Marie-Christine Pasche et Nicole Grieve
Décembre 2018

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